Double focale pour le webinaire du Forum des acteurs de la formation digitale (Fffod) consacré à l’intelligence artificielle : si la puissance de l’outil invite à penser les usages pédagogiques, les enjeux sociétaux ne doivent pas être oubliés. Regards croisés de Denis Cristol et Raphäel Grasset.
Par Nicolas Deguerry – Le 13 février 2024.
À ceux qui se demandent ce que, au fond, l’intelligence artificielle change dans le domaine de la formation, on dira que l’on se souvient avoir déjà entendu des experts évoquer un passage de la prothèse mnémonique (internet) à l’orthèse cognitive (l’IA). Et c’est avec cette interrogation que le chercheur et désormais entrepreneur Denis Cristol aborde son intervention au webinaire que le Fffod a consacré à l’IA en janvier : au-delà de la prothèse « qui vient combler un manque, de savoir, de puissance de calcul ou d’intelligence », l’IA serait aussi une orthèse qui vient augmenter « notre pouvoir de penser et notre capacité d’agir. »
Éthique pédagogique
En tant que tel, l’IA est un « disrupteur majeur » dont le fonctionnement pose des enjeux d’importance, à commencer par celui de « l’éthique pédagogique » : en affaiblissant nos choix conscients, estime Denis Cristol, l’IA produit des biais d’opinion et affaiblit notre capacité d’autodirection de nos apprentissages. Pour autant, l’IA est aussi un vecteur de transformation de notre rapport au savoir en ce qu’elle pourrait nous amener à dépasser la confusion savoir/apprentissage. De quoi ainsi passer des « modèles transmissifs descendants » aux « modèles d’exploration », perspective qui ne peut que réjouir le chercheur en « territoires apprenants » (notre article).
Intelligence collective
Un autre enjeu sociétal posé par Denis Cristol est d’ordre environnemental. Le coût énergétique du recours à l’IA est tel qu’il devrait nous inciter à une certaine frugalité : être moins « presse-bouton » pour générer à tout va et davantage dans la créativité. Cet appel à la modération n’est pas que d’ordre écologique, alerte le chercheur : « pendant que l’IA s’humanise, l’humain se mécanise. » Aussi nous faudrait-il développer l’intelligence collective en formation : ensemble – IA, formateurs facilitateurs et apprenants -, peuvent œuvrer à une « agentivité individuelle plus forte dans le désir d’apprendre. »
Pourquoi apprendre ?
Également chercheur et entrepreneur, Raphaël Grasset revisite lui son intervention sur le « triangle des Bermudes de l’IA pédagogique » présentée aux dernières rencontres du Fffod. L’occasion de balayer à nouveau l’impact de l’IA sur les apprenants, les formateurs et le savoir. Au-delà de la fragilisation, pour ne pas dire la « disparition », de ces trois acteurs de l’historique triangle pédagogique de Jean Houssaye (notre article), Raphaël Grasset insiste sur les dangers d’un nouveau rapport à l’apprendre qui pourrait sortir de l’IA. Alors que les publics les plus éloignés de l’emploi sont souvent dans une très faible « dynamique d’apprentissage », relève-t-il, ce n’est selon lui pas l’intelligence artificielle et ses logiques d’accès au savoir en juste-à-temps et sans efforts qui vont encourager l’étude.
Savoir Vs compétence
C’est pour lui un réel problème pour la construction de la compétence qui, parce qu’elle implique « une mise en application dans un contexte donné », induit nécessairement d’en passer par des séquences d’apprentissage. C.Q.F.D. : un prompt peut instantanément nous rendre sachant, pas compétent pour autant. La solution ? Partagée avec Denis Cristol et sans surprise pour ces deux chercheurs issus de Paris-Nanterre : « inventer les usages de l’IA dans un paysage de l’apprenance. »
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