En mars 2023, l’Assemblée Nationale votait une loi visant à équilibrer les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs. Portée par Frédéric Descrozaille, député de la 1ère circonscription du Val-de-Marne, elle prévoit notamment la limitation des promotions sur les produits non alimentaires à un rabais de 34 %. Une proposition qui ne fait pas l’unanimité. Rencontre avec Frédéric Descrozaille, qui revient sur ses ambitions pour ce texte.
La loi qui porte votre nom prévoit de mieux encadrer les promotions de certains produits, pourquoi proposer une telle loi ?
Cet encadrement a un objectif simple et qui n’est pas récent. Les distributeurs ont, depuis la circulaire Fontanet qui date de 1953, le droit d’imposer une forme de pression à leurs fournisseurs lors des négociations, même si cela défavorise un industriel qui n’aurait pas assez innové, investi ou qui gère moins bien son entreprise qu’un autre. Ce que les distributeurs n’ont cependant pas le droit de faire, c’est de détruire l’économie qui est en amont de leur métier. Alors pourquoi encadrer les promotions ? Parce que des rabais de moins 80 %, 90 % sur un produit donné, essentiellement payé par le fournisseur, ça n’est économiquement pas sain.
Ces « super promos » sont des arguments marketing, que je sais importants pour les distributeurs, qui visent à convaincre les clients de faire l’effort de prendre la voiture, aller au parking et passer une heure et demie dans un hypermarché. Réguler le droit aux promotions et imposer à toutes ces entreprises un seuil de 34 % de réduction de valeur ne supprime pas la concurrence mais permet de mieux respecter l’économie de l’amont, régulant cet éternel débat portant sur l’équilibre entre le métier du distributeur et l’économie des fournisseurs.
Vous parlez « d’encadrement », quand les distributeurs parlent de « restrictions », comment définissez-vous la distinction entre les deux ?
Les distributeurs parlent même d’interdiction, mais la réalité c’est que c’est un encadrement. Les promotions sont autorisées, jusqu’à un certain seuil en valeur et en volume. La loi prévoit qu’il n’est plus possible de faire des promotions au-delà de 34 % de la valeur. Concrètement, un client achète deux produits, le distributeur peut offrir le troisième, mais ne peut plus faire « un acheté un offert ».
En volume, ils peuvent faire jusqu’à 25 % du chiffre d’affaires de la catégorie du produit concerné. Actuellement, nous sommes en moyenne à peine à 19 %. Ils ont donc encore 6 % de marge de manoeuvre possible. Cela représente plus de 800 millions d’euros d’achats, qui ne font pas l’objet de promotions, que les distributeurs peuvent vendre au rabais. Et malgré cela, ils hurlent parce qu’ils ne peuvent pas faire de grosses promotions tape à l’oeil, qui ont pour unique but d’attirer les clients dans les hypers. S’ils souhaitent tant que ça protéger le pouvoir d’achat de leurs clients, il leur suffit de faire plus de promotions à 34 % de valeur, cela serait très efficace, mais moins orienté « marketing ».
Les consommateurs voient en cette loi une contrainte pour leur pouvoir d’achat, qu’en pensez-vous ?
Ce que j’ai à dire aux consommateurs et que je suis prêt à prendre le pari, qu’un an après la mise en application complète du texte, les prix auront baissé. Lorsque les distributeurs proposent des produits à moins 90 % de leur valeur, ils n’offrent pas 90 % du prix aux clients mais rattrapent les coûts sur le reste du caddie. Personne ne va dans un hypermarché E.Leclerc pour s’acheter des couches Pampers en promotions et ne repartir qu’avec ce produit. Dans le caddie, il y a du Coca-Cola, du shampoing, des plats cuisinés… Et sur l’ensemble de ces courses, E.Leclerc gagne de l’argent. Donc présenter l’argument que cet encadrement aura un effet inflationniste je n’y crois pas. De la même manière que je ne pense pas que les distributeurs se battent pour le pouvoir d’achat des ménages plus que pour leurs bénéfices.
Mon deuxième argument est qu’avec ce texte, je vise à protéger le salariat, l’investissement et l’innovation de toutes les filières de l’amont. Un consommateur c’est un salarié, un citoyen, un contribuable. Celui qui vote afin que nous adoptions des lois, parfois contraignantes, qui permettent notamment de décarboner l’économie, lutter contre le réchauffement climatique, électriser les transports… Ces objectifs demandent des investissements des entreprises qui doivent réduire leur empreinte carbone. Pour investir ces sommes, il est nécessaire qu’elles puissent dégager des résultats. Cela ne peut pas se faire avec des prix continuellement au plus bas.
Après la mise en application complète du texte, quelles retombées espérez-vous sur le long terme ?
Les retombées sont prévues dans la loi, puisqu’il s’agit d’une expérimentation, le code du commerce n’est pas modifié. Nous prévoyons deux bilans annuels pour observer les résultats de cette mise en application. Les prix ont-ils baissé, les hypermarchés ont-ils perdu de la clientèle, comment les coûts ont été répartis… Le parlement fera le point pour les résultats afin de savoir si nous continuons ou non.
L’association Eurocommerce estime que ce texte viole les règles du droit européen en empêchant les distributeurs et industriels d’offrir de meilleurs prix aux consommateurs. Comment répondez-vous à cette accusation ?
Je n’ai pas grand-chose à dire là-dessus si ce n’est que c’est une bataille juridique qui a du sens et est passionnante. Ce n’est pas une surprise parce que ça a été annoncé par la FCD ( Fédération du Commerce et de la Distribition, NDLR) dès le dépôt de mon texte. Il ne reste qu’à attendre que le tribunal soit saisi et rende sa décision. Ce n’est pas parce que les représentants de la distribution déclarent que ce n’est pas compatible, que ça ne l’est vraiment pas. Ils vont plaider, essayer de le prouver, d’avoir gain de cause, mais ce n’est pas gagné.
Lors de l’écriture de ce texte, avez-vous reçu des distributeurs pour débattre de la proposition ? Si oui, comment la rencontre s’est-elle passée ?
J’ai bien sûr reçu la FCD et d’autres associations, mais côté patrons de grandes enseignes, je n’en ai rencontré que trop peu et c’est partiellement de ma faute. Je leur ai naturellement proposé des auditions, mais au-delà de ce rendez-vous formel, au moment de la préparation de la loi j’aurais dû insister. Seul le directeur général d’E.Leclerc n’a, à l’époque, pas souhaité me rencontrer. Je pense que j’aurai dû plus insister pour les rencontrer, pour leur expliquer mieux que ce n’est pas contre eux que je porte ce texte. Aujourd’hui, j’ai eu de nouvelles occasions de parler avec eux, il y en a même avec lesquels j’entretiens des relations régulières.
Alexandre Bompard propose un moratoire d’un an sur l’application de cette loi, que traduit cette proposition, une certaine fébrilité des patrons de la grande distribution ?
Ce qu’il faut comprendre, c’est que le modèle de distribution d’E.Leclerc est historiquement basé sur les prix bas. Donc dans un contexte inflationniste ou les tarifs sont chahutés à cause de diverses crises, E.Leclerc gagne des parts de marché. Alexandre Bompard doit, avec Carrefour, réussir à se mettre au niveau de cette concurrence. De plus, étant coté en Bourse, le distributeur ne peut se permettre de décider de se « serrer la ceinture » et ne rien se verser pendant un an, contrairement à E.Leclerc, il est coincé. Ainsi, je comprends sa « fébrilité » et j’aurai compris qu’il propose des solutions, qu’il demande à différer la mise en application. Ce que je ne comprends pas c’est que je me fasse régulièrement « cogner dessus » dans les médias et que je reçoive des menaces et des messages orduriers par des chefs d’entreprises prétendant se battre pour l’intérêt général, alors que ce ne sont que des patrons qui veulent dégager des résultats.
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