Le 30 mars 2023, les partenaires du jumeau numérique national ont profité de la journée de la recherche de l’IGN pour faire un point d’étape sur ce projet structurant. Toujours en attente de financement, on sait d’ores et déjà qu’il ne prendra pas la forme d’une plateforme unique. Il s’agira davantage d’une bibliothèque de modèles pour résoudre des cas d’usage tels que ceux présentés lors de l’évènement.
Pour aider à la résolution des défis de l’anthropocène (1), l’Institut géographique national (IGN) a proposé de créer un jumeau numérique à l’échelle nationale, projet qui associera le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) et le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Sa journée nationale de la recherche, ouverte pour la première fois à la presse, a permis de présenter l’état de l’art de la recherche sur un sujet éminemment transversal.
Une représentation en interaction avec la réalité
L’occasion tout d’abord de clarifier la définition d’un jumeau numérique. « C’est un nouveau mot pour désigner des choses que l’on fait déjà mais qu’il faut davantage articuler », a expliqué Bénédicte Bucher, cheffe de service de la recherche de l’IGN. Le concept repose sur une représentation numérique de la réalité sur laquelle on souhaite agir ou effectuer des simulations. La nouveauté tient au fait qu’ils utilisent de plus en plus de données collectées en temps réel par des capteurs, créant une interaction continue entre le modèle et la réalité. De ce point de vue, la chercheuse cite Google Maps, qui associe une représentation schématique des voies et des données temps réel sur le trafic routier, comme un exemple de jumeau numérique. Le jumeau numérique de territoire est pour sa part associé à des vues 3D. À cet égard, la perspective de disposer de données nationales telles que les relevés Lidar (nuage de points intégrant la végétation en plus du bâti) et des images satellitaires haute définition, ouvre la perspective de démocratiser l’usage du jumeau. Les images « réalistes » en très haute définition ne sont cependant pas indispensables. « Dans le cas de la lutte contre les incendies, par exemple, on peut se contenter d’une représentation schématique, suffisante pour faciliter la prise de décision », souligne la chercheuse.
Concertation, aide à la décision et simulation
De fait, les jumeaux numériques sont pluriels, dépendent des objectifs recherchés et de leur cible. Dans les villes, ils permettent par exemple de mesurer l’exposition au bruit et à la pollution. Mais à la différence des cartes statiques actuelles, le jumeau pourra en produire une vision dynamique grâce aux données de capteurs et, surtout, montrer l’incidence des décisions publiques pour transformer les artères urbaines en « rues à santé positive ». Ils peuvent aussi contribuer à montrer les liens entre urbanisation et transports grâce à l’exploitation des historiques de données sur l’occupation des sols. Plusieurs équipes de chercheurs travaillent du reste sur l’exploitation d’anciens plans ou de cartes postales pour alimenter l’historique d’usage des parcelles. À Rennes, Cannes, Strasbourg ou Pau, le jumeau fait partie de la panoplie des outils de concertation sur le risque inondation ou pour les grandes opérations d’aménagement. En matière de gestion durable des forêts, le projet mené dans les Vosges montre que l’exploitation des données Lidar ouvre la perspective d’un pilotage de la forêt à l’échelle de la parcelle, de l’espèce voire de l’arbre pour observer et lutter contre le réchauffement climatique. Le jumeau numérique s’impose enfin pour créer des environnements de test, comme le pratique depuis longtemps l’industrie. C’est par exemple l’objet des démonstrateurs « phygitaux » (un circuit physique et son jumeau numérique) de Transpolis et Saclay qui évitent au véhicule autonome de rouler des milliers de kilomètres pour passer des tests de sécurité.
Un jumeau souverain et interopérable
Ces jumeaux sont basés sur des modèles conceptuels que les trois promoteurs du projet de jumeau national, l’IGN, le Cerema et le BRGM, voudraient voir converger sans nécessairement fusionner. « Le jumeau numérique c’est d’abord une direction, ce n’est pas un outil à tout faire. Il doit nous aider à nous projeter », résume Sébastien Soriano le directeur général de l’IGN. « Ce jumeau doit permettre l’interconnexion des modèles aujourd’hui cloisonnés », abonde Michèle Rousseau directrice du BRGM. Les grandes collectivités, qui sont parties plus tôt sur ce sujet, devront ainsi pouvoir interconnecter leur jumeau à leur alter ego national. Pascal Berteaud, directeur du Cerema, insiste de son côté sur l’urgence de sa mise en œuvre : « On ne peut pas se permettre de se tromper face aux défis qui nous attendent. Il faut se donner les moyens de prévoir ce qui va se passer. » De nombreuses questions restent cependant à résoudre avant que ce projet ne voie le jour. Il y a tout d’abord l’acquisition de nouvelles données (complétude Lidar notamment) et l’amélioration de l’interopérabilité et de la « découvrabilité » (2) des données existantes. Certains verrous technologiques, comme les outils de simulation et l’exploitation de l’intelligence artificielle, restent ensuite à lever. Un sujet sur lequel l’aide d’industriels, en plus de l’Inria, apparaît comme « indispensable » pour ses promoteurs. Il faut enfin que ce jumeau soit capable de répondre à l’ensemble des besoins des trois cibles identifiées : métiers, décideurs et citoyens.
Dans tous les cas, les trois partenaires du projet promettent un jumeau numérique « de confiance », « souverain », « ouvert » (sur la partie logicielle comme sur les algorithmes) et « accessible » à tous les territoires. Ils estiment qu’il faudra 5 ans pour qu’il émerge. Si un groupe de travail associant les trois institutions est déjà en place, son démarrage effectif demande encore le feu vert de l‘État pour ce projet estimé à « plusieurs dizaines de millions d’euros ».
Parmi les expérimentations en cours on mentionnera celle de Loos-en-Gohelle, partie prenante du projet City-Fab financé par le PIA3 et avec comme chef d’orchestre l’université Gustave-Eiffel. Cette ville de 20.000 habitants va aider à évaluer les besoins des villes moyennes et leur capacité à s’approprier un jumeau numérique. Plusieurs axes de travail ont été définis : |
(1) L’anthropocène est une proposition d’époque géologique qui aurait débuté quand l’influence de l’être humain sur la géologie et les écosystèmes est devenue significative à l’échelle de l’histoire de la Terre.
(2) « La découvrabilité », traduit de l’anglais, est la mesure dans laquelle quelque chose, en particulier un élément de contenu ou d’information, peut être trouvé lors d’une recherche dans un fichier, une base de données ou un autre système d’information.
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