En 2023, Google a émis 40% de plus de CO2 qu’en 2019. Chez Microsoft, cette envolée est de l’ordre de 15%. Imputable à leur usage massif de l’intelligence artificielle (IA), cette augmentation a contraint les géants du numérique à renoncer à leurs objectifs initiaux de neutralité carbone. Si l’IA peut contribuer à résoudre les enjeux écologiques par l’analyse de données massives, elle contribue aussi à aggraver l’impact écologique du numérique. C’est à partir de « ces deux facettes de l’IA », a expliqué Thomas Cottinet, directeur de l’Ecolab au ministère de la transition écologique, qu’a été lancé voici deux ans l’appel à projets sur l’IA frugale au service de la transition écologique (DIAT). Initié par l’État et opéré par la Banque des Territoires, son objectif est de faire de la France un leader en matière d’IA responsable. « Cet appel à projets, lancé dans le cadre de France 2030, a pour ambition de bâtir un écosystème complet de l’IA », a rappelé Géraldine Leveau, secrétaire générale adjointe pour l’investissement. François Wohrer, directeur des investissements de la Banque des Territoires, a salué la « diversité des consortiums », et la « variété des thématiques abordées » par les territoires (urbanisme, consommation énergétique, gestion de l’eau, biodiversité, etc.). Les collectivités et leurs partenaires se sont saisis de l’IA pour apporter des solutions concrètes, utiles au pilotage des politiques publiques ou à l’amélioration des services aux usagers. « Ce sont des pionniers, leurs résultats et leurs retours d’expérience seront scrutés de près », a souligné François Wohrer. Désormais, les DIAT comptent 12 projets, soit 8 de plus que lors de la première vague, et mobilisent 20 millions d’euros de subventions.
Exploiter l’open data
Le pitch des consortiums lauréats a permis de mieux cerner le concept d’IA « frugale », qui vient d’être défini formellement par Ecolab (voir ci-dessous). Il s’agit tout d’abord de minimiser la collecte de données en visant la qualité plutôt que la quantité, en veillant à ne mettre à jour que les données nécessaires à la finalité. Une préoccupation que l’on retrouve dans le projet IA.rbre. Celui-ci va mobiliser l’IA pour aider la métropole de Lyon à détecter les zones « plantables » et utiliser la végétalisation pour créer des zones rafraîchissantes ou lutter contre les phénomènes de ruissellement. Une sobriété des données que l’on retrouve également dans le projet PREVIZO de la région Centre-Val de Loire sur la préservation de la ressource en eau. Un projet qui mobilisera notamment les données du BRGM pour construire un modèle prédictif sur la qualité et la quantité de l’eau à l’heure du réchauffement climatique. C’est encore le cas du projet PEP-BIOccIA porté par la région Occitanie qui entend cartographier les milieux naturels (faune/flore) et prédire la biodiversité. AMELIA va pour sa part mobiliser les données existantes à Paris-Est Marne-et-Bois sur la qualité de l’air et le bruit pour aider les collectivités à réaliser des arbitrages nécessaires aux objectifs réglementaires de réduction des pollutions.
Limiter le nombre de capteurs
La frugalité peut aussi être atteinte en exploitant des données qui, à l’origine, ne sont pas des données environnementales. Le projet Predict AI’r de l’établissement public de Paris-Ouest La Défense s’inscrit dans cette logique. Le consortium va exploiter les données de bornage des téléphones mobiles pour en déduire, grâce à l’IA, les modes de déplacement des utilisateurs et leur impact sur la qualité de l’air. Une stratégie qui pourrait permettre de ne pas multiplier les capteurs d’air tout en étant applicable à n’importe quel territoire, en France comme dans le monde. Faire mieux avec moins de données grâce à l’IA résume également le projet Mission 90+ porté par Leakmited avec le syndicat des eaux du Brivadois. Pour dépasser un rendement du réseau d’eau de 90%, l’objectif est de mobiliser l’IA pour surveiller le réseau en « l’écoutant », pour détecter les fuites et aider les maires à prioriser les travaux.
Externalités positives
Mais la frugalité peut aussi s’apprécier par les externalités positives que l’IA génère dans les organisations. À Saclay, le projet Urba(IA) porté par la communauté d’agglomération, promet ainsi d’aider les collectivités franciliennes à réviser leur plan local d’urbanisme en intégrant l’ensemble des contraintes normatives en matière de protection de l’environnement, qu’elles soient régionales ou nationales. Une approche globale qui générera des gains de temps pour les services urbanisme des 3 territoires tests. Ces externalités s’appliquent aussi au projet IA Eco Pilot sur la métropole du Grand Paris dont la vocation est triple : aider les gestionnaires d’espaces tertiaires à piloter les consommations énergétiques des bâtiments tertiaires tout en les éclairant sur le bâti et la faisabilité d’un projet autoconsommation.
Ecolab sort un référentiel sur l’IA frugaleL’Ecolab a élaboré avec l’Afnor un référentiel, publié en juin 2024, pour définir la notion d’IA frugale. Ce document est à destination des producteurs et fournisseurs d’IA comme des acheteurs (publics) pour les aider à choisir une solution frugale. Pour qu’un système d’IA soit qualifié de frugal, une prise en compte de l’ensemble de son cycle de vie, de la conception à sa mise hors service, est nécessaire, rappelle le référentiel. Cela implique une réflexion sur la nécessité même de recourir à l’IA par rapport à des solutions moins consommatrices de ressources. Le but est de démontrer que l’IA est réellement indispensable pour atteindre l’objectif visé. La frugalité induit ensuite une minimisation des ressources matérielles et énergétiques mobilisées pour créer le système d’IA. Il s’agit notamment de rationaliser les modèles d’IA, de réduire le volume de données utilisées pour les entraîner et d’optimiser les infrastructures qu’ils mobilisent, comme les centres de données. La compression des algorithmes et l’usage de données open source sont également encouragés pour réduire leur l’empreinte carbone. Tout au long du cycle de vie des IA, le référentiel exige ensuite de mesurer l’impact direct de l’IA (énergie consommée, CO2 émis, ressources consommées) mais aussi ses effets indirects, comme l’effet rebond, où une amélioration de l’efficacité peut entraîner une augmentation de la consommation. Enfin, une gouvernance claire doit être mise en place pour s’assurer que les principes de frugalité sont intégrés à chaque étape d’un projet d’IA. Les fournisseurs et producteurs d’IA doivent communiquer de manière transparente sur les actions mises en œuvre pour limiter les impacts, en fournissant des évaluations précises et des méthodologies claires. L’ambition de l’Etat est désormais de transformer ce référentiel en norme européenne, voire mondiale. |
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