Localtis – Pourquoi La Poste et La Banque des Territoires se sont-elles associées pour produire une note sur les enjeux liés à la gestion des données dans les territoires ?
Christel Papillon Viollet (CPV) – De plus en plus de collectivités se saisissent du sujet de la donnée, cette démarche n’est plus réservée aux seules grandes collectivités. Grâce à cette note de conjoncture, les collectivités peuvent s’inspirer des projets mis en œuvre dans les différents domaines par des territoires qui leur ressemblent. Et nous, La Poste, nous pouvons les accompagner, notamment pour poser un diagnostic sur leur territoire et leurs politiques grâce à de la collecte de donnée, de la restitution cartographique et de l’analyse. D’ailleurs, sur la voirie, La Poste accompagne certaines collectivités pour filmer l’état de leurs infrastructures routières pour ensuite analyser les prévisions de dégradation et permettre ainsi d’optimiser leur budget d’entretien.
Jeanne Carrez Debock (JCD) – Tous les territoires peuvent se saisir de la donnée pour mieux piloter leurs politiques publiques. À la Banque des Territoires, nous avons un rôle de sensibilisation mais aussi d’accompagnement. Nous avons mis au point un véritable parcours d’accompagnement des collectivités personnalisé via, notamment, de l’ingénierie, mais aussi avec la mise à disposition d’outils data. Ainsi, nous proposons aux villes du programme Petites Villes de demain une solution de projection et d’analyse de données : Dataviz PVD, qui intègre par exemple des informations liées à la fréquentation dans chacun des 1.644 centres-bourgs.
Cette note de conjoncture permet de mettre en avant des cas d’usages et de donner envie aux autres de se lancer. La Banque des Territoires propose de cofinancer des études qui s’adaptent au besoin de chaque collectivité : mener un projet data, définir une stratégie de la donnée ou mettre en place une gouvernance de la donnée. Quoi qu’il en soit, la Banque des Territoires ne privilégie pas une solution plutôt qu’une autre.
Pouvez-vous citer des chiffres clés qui illustrent les grandes tendances ? Quels sont les domaines prioritaires pour les usages de la donnée dans les territoires ?
JCD – L’enquête de DataPublica révèle que 83% des collectivités considèrent que le recours à la donnée est un objet nécessaire aux politiques de transition qu’elles engagent. 68% des collectivités interrogées ont conduit des projets de mobilité, 67% sur l’aménagement du territoire, 53% sur l’espace public. La priorité est souvent donnée à l’éclairage public et la gestion des bâtiments car l’exploitation des données permet de réaliser des économies à la fois financières et énergétiques. Ce sont deux thématiques récurrentes sur la data. Mais tous les domaines sont aujourd’hui concernés : l’administration au quotidien et la relation aux usagers, la mobilité, la gestion de l’environnement, l’eau, l’énergie, les déchets, le développement économique, le tourisme, la gestion du patrimoine et l’espace public… Nous voyons de plus en plus de projets d’exploitation des données au service de l’environnement.
Le risque cyber concerne plus que jamais les collectivités…
JCD – La prise de conscience de ce risque est manifeste. 94% des collectivités interrogées par DataPublica estiment être menacées de façon continue ou de façon ponctuelle par des attaques (contre 89% en 2022). 73% des collectivités estiment aussi que leur niveau de prise en compte du risque est bon (contre 63% en 2022). Bien sûr, il faut nuancer ce chiffre en fonction de la taille des collectivités : il atteint 95% pour les métropoles et seulement 33% pour les toutes petites communes. On ne peut pas demander aux collectivités de petite taille d’être expertes en cybersécurité. Il faut définir le cap, mobiliser les structures mutualisatrices et sensibiliser en priorité les agents aux bons gestes. Du point de vue de l’industrie de cybersécurité, le développement de solutions efficaces, simples et abordables est un enjeu majeur pour permettre à tous les acteurs de se protéger.
La donnée au service de la transition environnementale est au cœur de cette étude. En quoi l’exploitation des données est-elle essentielle pour piloter la transition écologique et outiller les collectivités territoriales ? Pourriez-vous citer quelques exemples dont les collectivités pourraient s’inspirer ?
CPV – L’approche par fiches thématiques dans la note est à ce titre vraiment intéressante : data et énergie ; data et gestion de l’eau ; data et biodiversité ; data et déchets ; data et qualité de l’air ; data et mobilité ; data et urbanisme, data et numérique responsable, etc. Cette présentation didactique permet aux collectivités de naviguer dans la note en fonction de leurs centres d’intérêt et de se projeter sur des exemples concrets.
JCD – Je souhaite attirer l’attention sur le sujet de la planification écologique. La note cite l’exemple de Val de Cher Controis (50.000 habitants) qui a pris l’initiative de piloter son plan climat air énergie par la donnée. La communauté de communes a fait le choix de rassembler, dans un portail unique et public, toutes les données qui permettent d’expliquer et de piloter le PCAET. La Banque des Territoires a également accompagné Niort (60.000 habitants) qui a mis en place un projet de carte interactive et publié un atlas de biodiversité. Les données utilisées sont nombreuses : trames vertes et bleues, recensement des arbres sur le domaine public, végétalisation et couverture des sols, présence de ruches, recensement des espèces par zone (habitat, parcs et jardins de la ville, zones aquatiques, zones boisées…). Globalement, on remarque que les collectivités ont un souci de transparence et sont très désireuses de concerter avec les citoyens, de communiquer avec eux.
CPV – Je pense aussi à l’exemple de Valbonne (15.000 habitants). Les élus ont constaté une augmentation importante des dépôts sauvages et ont pris la décision de déployer des caméras intelligentes sur des lieux sensibles. Un algorithme analyse les images, identifie la présence de dépôts et génère une alerte. L’objectif de la commune, passé une phase de test, est aussi financier. Il s’agit de rentabiliser l’investissement de départ – chaque caméra coûte 10.000 euros par an – en économisant les coûts d’enlèvement des déchets et… en encaissant des amendes qui peuvent atteindre 3.000 euros en cas de récidive. La donnée peut aussi servir à faire des économies de financement.
JCD – De nombreuses collectivités utilisent aussi les données pour identifier les îlots de chaleur sur leurs territoires et construire des trames de fraîcheur. Je pense à Vitry, Bayonne et Chambéry. Ces questions sont en lien avec celles de la nature en ville et du patrimoine arboré. Comment bien choisir les essences ? J’ajoute que l’objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) – qui vise à ralentir et compenser l’artificialisation des sols en France – ne pourra pas s’atteindre sans la gestion des données…
CPV – … de même que le plan Eau, annoncé en avril dernier par le gouvernement. Il va nécessiter un pilotage par la donnée.
JCD – Sur ce sujet, la Banque des Territoires proposera d’ailleurs, dès la fin 2024, Aquasens, un outil numérique national fournissant aux collectivités des indicateurs clés sur l’état de leur ressource en eau.
Malgré les progrès, des lacunes persistent. L’étude relève que moins de 16% des collectivités respectent leurs obligations légales d’open data
JCD – Il faut toutefois relativiser ce chiffre de 16% qui ne reflète pas forcément la dynamique qui est à l’œuvre dans bon nombre de collectivités. Cela dit, on observe toutefois un manque d’acculturation, un manque de connaissances des apports potentiels de la donnée. L’effort peut être perçu comme très élevé par rapport à d’hypothétiques bénéfices qui ne sont pas toujours très documentés. D’où l’intérêt de cette note qui met en avant de nombreux cas d’usages qui fonctionnent. Parfois, le frein, c’est aussi un manque de compétences dans les collectivités ; sans compter que les DSI [les directions des systèmes d’information, NDLR] sont souvent surchargées. Les collectivités se heurtent aussi à une difficulté d’accès à des données de qualité – une problématique propre aux villes moyennes – les grandes métropoles, quant à elles, ont souvent de nombreux de projets.
CPV – Les obligations liées aux datas ne sont pas toujours bien identifiées par les collectivités. Je pense notamment à la donnée « adresse » qui est censée être publiée en open data par les communes. Or, celles-ci n’ont parfois pas de base de données de leurs adresses. Sur les obligations liées à l’open data, il y a un problème de connaissances, de compétences et de moyens.
L’émergence de l’intelligence artificielle marque un tournant en 2023. Comment les territoires s’en emparent-ils ?
JCD – Plus de 50 collectivités expérimentent en 2023 des outils d’intelligence artificielle. Ce chiffre a doublé puisqu’elles étaient une vingtaine en 2022. Peuvent être cités les quatre projets lauréats du volet IA de l’appel à projets France 2030 Territoires intelligents et durables : Vendée Métropole, Metz, Noisy-Le-Grand et Bordeaux Métropole qui utilisent l’IA pour modéliser les consommations énergétiques et simuler l’impact de la rénovation énergétique des bâtiments.
La Banque des Territoires propose également le service Prioréno, utilisant l’IA pour permettre aux collectivités d’identifier les rénovations à mener en priorité. Il existe aussi des exemples d’utilisation de l’IA pour la détection et la prédiction des fuites d’eau, comme à Nevers. On assiste également aux débuts de l’IA générative dont le potentiel pour les collectivités, comme pour nous tous, est immense et qui pourrait par exemple être utilisée pour l’analyse de documents volumineux, comme les appels d’offres.
CPV – ChatGPT a mis un coup de projecteur sur l’IA générative. Cela peut faire peur mais au quotidien, en réalité, les communes utilisent déjà de l’IA sans réellement s’en rendre compte, notamment en utilisant des solutions d’opérateurs qui utilisent l’IA. Pour géoréférencer le mobilier urbain par exemple, La Poste filme le territoire et restitue aux collectivités un état des lieux pour lequel l’IA est utilisée.
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