Les projets structurants autour de l’intelligence artificielle au service de l’optimisation des politiques publiques restent peu nombreux et se heurtent au défi du passage à l’échelle. L’arrivée des IA génératives a changé la donne en faisant émerger autant d’usages que de questions. Avec une évidence, l’IA est désormais un sujet plus politique que technique.
Voici un an, le Conseil d’État plaidait « pour la mise en œuvre d’une politique de déploiement de l’intelligence artificielle résolument volontariste, au service de l’intérêt général et de la performance publique ». Il incitait l’État, notamment au travers de l’ANCT et de la Dinum, à accompagner les collectivités dans leur appropriation de l’IA (voir notre article du 1er septembre 2022). Un an après, force est de constater que les projets d’ampleur peinent à émerger.
L’occupation des sols modélisée
Au niveau de l’État, à l’exploration des potentiels de l’IA dans les années 2018-2020 – on peut consulter ici la « bibliothèque » des cas d’usage explorés – succèdent quelques projets d’ampleur. On mentionnera plus particulièrement celui de l’IGN qui mobilise le big data et les techniques d’apprentissage profond pour alimenter sa « cartographie de l’anthropocène » (voir notre article du 29 septembre 2022). Son projet « couverture du sol par intelligence artificielle ou CoSIA (webinaire de présentation à visionner ici) vise à automatiser la détermination de l’usage des sols en mobilisant une IA entrainée par des images satellitaires haute définition. Cette IA va nourrir un « référentiel d’occupation des sols à grande échelle » – concrètement, 15 catégories d’usages matérialisés par des aplats de couleurs – utile au contrôle de la mise en œuvre de l’objectif zéro artificialisation nette des sols (ZAN) d’ici à 2050, mais aussi à la mesure de l’érosion, de l’état de santé des forêts ou des cours d’eau. Le département du Gers a été le premier à bénéficier de ce traitement, deux millésimes nationaux du référentiel étant attendus d’ici à 2024.
On mentionnera aussi le programme « Data & Quartiers », lancé en 2019 par RésO Villes, soutenu par l’ANCT et Civiteo, entreprise du réseau Data Publica. Depuis, un livre blanc a été produit avec le soutien du ministère en charge de la politique de la ville. Il explique dans le détail les expériences qui ont été conduites. L’une d’entre elles concerne l’emploi. Des données locales fournies par l’agence publique de l’emploi sont croisées avec les données d’un groupe privé de travail temporaire. Il en résulte une connaissance inédite de la réalité des distances entre les quartiers et les emplois, avec des enseignements pratiques pour des politiques locales d’aide à la mobilité. En matière de protection sociale, le recours à un algorithme de modélisation permet d’identifier des familles en situation de non-recours. Le livre blanc raconte aussi les conditions qui ont été créées pour permettre un accès à des données nouvelles.
Une quarantaine de projets locaux
Au niveau des collectivités, le déploiement de l’IA en reste à ses balbutiements. Le mot clef est ainsi quasi-absent des projets numériques financés par l’État au titre du plan de relance (voir notre article du 19 janvier 2023). L’observatoire Data publica a dénombré pour sa part à l’automne 2022 une quarantaine de projets estampillés IA par les collectivités interrogées. Portés par de grandes collectivités, seulement quatre étaient effectivement déployés à date. Parmi les défis relevés par ces algorithmes : le comptage de flux, la réduction des déchets, la maitrise des consommations énergétiques, l’identification des ilots de chaleur, la détection des fuites d’eau, la lutte contre les dépôts sauvage ou encore la réduction du gaspillage alimentaire dans les cantines… Le principal défi pour ces projets reste cependant leur passage à l’échelle. Leur « industrialisation » se heurte notamment à un manque de données « massives » et normalisées. Le sujet est du reste loin d’être spécifique aux territoires : la constitution de « data hubs » thématiques mêlant données publiques et privées, à même de pouvoir entrainer des IA, fait partie des priorités gouvernementales et européennes (voir notre article du 30 mars 2023).
Le défi de la réplicabilité des IA territoriales
Les projets territoriaux en matière d’IA se heurtent par ailleurs à un déficit de compétences. L’appel à projets sur les « Démonstrateurs d’IA dans les territoires », dont la seconde promotion a été dévoilée en juin, ambitionne de résoudre cette équation en aidant collectivités et entreprises à initier des projets intégrant dès leur conception leur réplication. Cette approche par la commande publique permet aussi de maitriser la technologie, d’imposer des contraintes de « frugalité » (énergie, données…) et des obligations de transparence aux fournisseurs d’IA. Idem pour le respect du RGPD. On signalera à cet égard l’initiative « bac à sable » de la Cnil qui a ouvert le 21 juillet 2023 un appel à candidatures pour accompagner trois services publics dans le déploiement d’une IA respectueuse de la vie privée.
L’irruption de l’IA générative
Cette approche de l’IA « par le haut » a cependant été bousculée par l’irruption des IA génératives – ChatGPT, Dall-e, Midjourney, Bard… – à partir de l’automne 2022. Ces IA sont dotées d’une interface intuitive et accessible à tous ceux qui maitrisent l’art du « prompt » (la formulation des requêtes) pour générer en quelques secondes du texte, du code, du son ou des images. Un accès d’autant plus aisé que les éditeurs comme Microsoft, Google et autres Meta sont en train de les intégrer nativement à leurs outils (moteur de recherche, messagerie…). Cette irruption brutale de l’IA dans le quotidien des collectivités pose question et est à l’origine de prises de positions allant jusqu’à demander leur « interdiction » au sein de l’école ou des administrations (voir notre article du 4 avril 2023). L’éventualité d’un remplacement massif de certains postes, encore mis en évidence par une récente étude de l’OCDE (voir notre article du 24 juillet 2023), figure en tête des craintes exprimées. A court terme, il faudra surtout apprendre aux agents à s’en servir. L’initiative de l’État de mener un test avec 1.000 agents volontaires pour utiliser une IA générative pour rédiger des réponses s’inscrit dans cet esprit (voir notre article du 20 juillet 2023).
Réguler sans brider l’IA
L’arrivée massive de systèmes d’IA, conçues outre-Atlantique pour la plupart, soulève aussi la question de leur régulation. L’Europe promet d’être pionnière en la matière avec des règles calquées sur les risques associés à chaque catégorie d’IA. Ce cadre pourrait entrer en vigueur dès la fin de l’année (voir notre article du 12 mai 2023). Mais au-delà de l’interdiction de la notation sociale et des IA à finalité guerrières ou discriminatoires, le bon niveau de régulation fait débat. L’intégration des IA génératives dans le champ des IA régulées voulue par les parlementaires européens ne fait ainsi pas l’unanimité. Plusieurs grandes entreprises européennes ont fait part début juillet de leur réticence à l’instauration de règles trop strictes qui brideraient l’innovation. Côté collectivités, c’est surtout l’usage de caméras vidéo dopées à l’IA qui fait débat, les expérimentations introduites par la loi sur les JO (voir notre article du 13 avril 2022) étant jugées trop restrictives par certains élus. Autant de sujets sociétaux qui ont conduit les Interconnectés à souhaiter des investigations sur trois ans pour permettre aux collectivités de se forger un avis argumenté sur ces questions (voir notre article du 7 juillet 2023).
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