Dans un rapport consacré à la gestion publique des risques, la Cour des comptes appelle le gouvernement à « mieux coordonner les actions » pour « faire émerger une vision d’ensemble ». La Cour dénonce notamment un « émiettement des prérogatives préfectorales » ou le nombre élevé de prescriptions réglementaires, qui conduisent l’administration à « sélectionner les risques », et dont les coûts sur les parties prenantes ne sont pas connus. Elle plaide pour associer davantage la société, et alerte sur l’improbable soutenabilité des régimes de réparation face à « la multiplication des crises, d’ampleur croissante ».
« Gouverner, c’est prévoir », rappelle la Cour des comptes dans un rapport qu’elle vient de consacrer à « la gestion publique des risques », citant Émile de Girardin. Pourtant, elle estime que l’État ne le fait pas suffisamment. À l’heure où de nouveaux risques émergent, elle attire l’attention sur la nécessité de ne pas se préparer « à la guerre d’avant », mais de mieux appréhender les crises à venir. Et d’exhorter ainsi l’État à « un effort accru de prospective et de recherche », en élargissant « son champ de vision comme son horizon temporel ».
Trop de normes tue la norme
« Gouverner c’est choisir », souligne-t-elle de même, citant Pierre Mendès-France, en estimant que « l’irrésolution et la versatilité peuvent constituer par elles-mêmes un risque ». Le trait paraît fort. Et ce, d’autant que dans son rapport, la Cour relève que « l’élargissement progressif du champ géographique et thématique des risques couverts, comme la sédimentation des dispositifs construits pour y faire face au sein de chaque filière, mettent aujourd’hui sous forte tension les services publics chargés de les gérer », au point de les conduire précisément à hiérarchiser « fortement les risques qu’ils prennent en charge ». On relèvera ainsi que pour la Cour, l’administration elle-même n’est pas épargnée par « la République des Cerfas » récemment dénoncée par le président de l’Association des maires de France (AMF) – voir notre article du 7 juin 2023. « Le nombre particulièrement élevé de prescriptions réglementaires à instruire conduit les préfets et les services déconcentrés à fortement sélectionner les risques courants », observe-t-elle, en dénonçant un « maquis de règles, procédures et documents dont il est malaisé de discerner la cohérence d’ensemble, voire de comprendre la logique d’organisation ». Si la rue Cambon ne trouve pas la hiérarchisation « illégitime », bien au contraire, elle déplore qu’elle ne soit « pas suffisamment explicite » et, surtout, suffisamment pensée.
Absence de vision globale et de coordination
Gouverner, c’est donner un cap et rassembler – à tout le moins coordonner –, aurait-elle surtout pu formuler. Car le principal reproche qu’adresse la Cour, c’est bien celui d’une approche de la gestion des risques en silos, qui manque de cohésion, de cohérence et de vision. À l’absence d’un travail global de cartographie des risques s’ajoutent selon la Cour « des ressources budgétaires éparpillées », « et le plus souvent mal identifiées », ce qui ne permet notamment pas « de disposer d’une vision stratégique » du coût de cette gestion des risques.
Pour la Cour, cette absence de vision d’ensemble se fait d’autant plus préjudiciable « que de nouveaux risques émergent ou se renforcent, de nature transverse, susceptibles de produire des effets en cascade ». Et de prendre l’exemple du risque cyber, « dont la technicité a donné lieu à l’établissement d’une filière nationale spécialisée, dont l’enjeu est désormais de s’étendre vers les territoires et au profit des collectivités, des entreprises de taille intermédiaire et plus généralement du citoyen ».
Aussi la rue Cambon invite-t-elle l’État à « définir, mettre à jour et publier tous les 5 ans une carte globale des risques auxquels la Nation est exposée, le coût de leur gestion pour l’ensemble des acteurs impliqués et le niveau des risques résiduels » (« la cartographie des risques majeurs est classifiée et ne saurait faire l’objet d’une communication », réplique Matignon). Mais aussi de créer un « responsable national de la gestion des risques », rattaché à la Première ministre et chargé de coordonner et d’harmoniser les dispositifs sectoriels – sur lequel Élisabeth Borne émet « de fortes réserves », lui préférant le comité interministériel pour la résilience nationale installé le 1er février dernier –, ou encore de mettre en place une organisation nationale et territoriale à même de mettre en œuvre la « stratégie nationale de résilience » (SNR). « Les travaux de déclinaison de la SNR auprès des collectivités territoriales ont été initiés […]. La prochaine étape consistera à identifier les collectivités volontaires pour concrétiser cette démarche », répond la Première ministre.
Difficultés de coordination
Pour l’heure, la Cour estime que le manque de coordination au sommet de l’État se retrouve sur le terrain, où elle juge que l’on « peine à voir émerger une véritable mise en cohérence des actions locales voire […] une vision réellement intégrée des aspects relevant de plusieurs départements ministériels ». Si le préfet de département est normalement « garant de la coordination des différentes actions de l’État », la Cour relève que « les évolutions des dernières décennies ont […] conduit à une forme d’émiettement dans les prérogatives préfectorales et à l’attrition des moyens déconcentrés ». Elle invoque notamment l’autonomie opérationnelle des agences régionales de santé, le rattachement des services départementaux d’incendie et de secours aux conseils départementaux ou encore les compétences dévolues aux communes, notamment en matière d’urbanisme ou de prévention des inondations, qui « contribuent à affaiblir les leviers d’action du corps préfectoral ». Sans compter les « fortes réductions d’effectifs », qui ont mis à mal l’expertise des préfectures. « De ce fait, l’efficacité de la gestion des risques relève désormais de la capacité effective de divers acteurs à se coordonner », juge la Cour. Mais, elle constate que « la diversité des échelons de coordination – région, zone de défense et de sécurité, bassin versant, etc. » – complique la donne.
La charge n’est pas sans faire écho aux critiques formulées par les sapeurs-pompiers à l’encontre de la gestion de la crise du covid, laquelle avait selon eux fait la part trop belle à « des techniciens victimes de l’effet tunnel » et « trop éloignés du terrain pour être agiles » (voir notre article du 27 juillet 2020).
Associer davantage la société
Pour améliorer la gestion publique des risques, la Cour appuie également le concours « indispensable » de la société, considérant que c’est par elle « que s’effectue le dernier kilomètre de nombreuses politiques publiques ». Pour obtenir une contribution plus étroite des populations, elle insiste à son tour sur « une diffusion aussi large que possible de la culture du risque ». Mais aussi sur un préalable : « Combler le déficit de confiance », « face à un climat général de défiance envers les pouvoirs publics ». « L’intelligibilité de la parole des experts […] est un enjeu majeur », précise la Cour, tirant les enseignements de la crise du Covid. Elle insiste également sur la nécessité d’un renouvellement des modes de communication, en proposant notamment « de s’appuyer davantage sur les initiatives multiples des collectivités en matière d’implication citoyenne ».
Des coûts mieux « éclairés » et répartis
La Cour attire enfin l’attention sur le besoin d’une répartition « éclairée » des transferts de coûts et de charges, déplorant qu’il soit aujourd’hui difficile d’estimer les coûts induits par l’intervention réglementaire de l’État pour l’ensemble des acteurs concernés (et notamment les collectivités – voir notre article du 13 juin). Elle préconise en conséquence de « rendre systématique l’analyse des impacts socio-économiques des mesures réglementaires de gestion des risques ».
Elle recommande encore de « développer l’incitation à la prévention des risques, en lien avec les mécanismes d’indemnisation des risques majeurs », déplorant que ces incitations soient aujourd’hui faibles, « notamment en matière de construction » (tout en ajoutant que « la priorité reste l’accès des ménages à un logement »). Ces incitations semblent d’autant plus nécessaires que la Cour relève que « si l’indemnisation des risques courants repose largement sur le marché privé de l’assurance, l’État intervient en revanche réglementairement et financièrement pour les risques majeurs ». Or, observe-t-elle, « la multiplication des crises, d’ampleur croissante, risque d’exposer l’État de plus en plus, compte tenu de son rôle d’assureur ultime », et de le pousser ainsi « aux limites de la solidarité et à reporter la charge sur les générations futures », au point de remettre en question « la soutenabilité à long terme de ces régimes de réparation ».
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