Résumé
En France, les mutations de l’organisation et de mobilisation du travail engendrent des zones grises de l’emploi et du travail. Dans ce contexte de croissance du travail indépendant, près de 150 Coopératives d’Activités et d’Emploi (CAE) inventent des formes de mutualisation et de coopération entre des entrepreneuses-salariées-associées. Ce système socioproductif démocratique et ses modalités d’emploi visent l’amélioration des conditions d’autonomie dans et par le travail. Les CAE sont reconnues par la loi ESS 2014, mais la diminution des financements publics impacte pourtant leurs ressources déjà limitées. Cette thèse éclaire la compréhension de ces systèmes socioproductifs expérimentaux visant à pallier les mutations structurelles de la production et des relations salariales. Elle s’intéresse aux espaces institués et instituants, au-delà des schémas opposants production marchande/non marchande, salariat/indépendance. Dans une perspective institutionnaliste, cette thèse se focalise sur les configurations stratégiques et organisationnelles des CAE, combinant plusieurs dimensions socioproductives. La démarche de re-cherche-action participative intégrale s’enrichit de la logique d’enquête pragmatiste. Trois CAE (Oxalis, Coopaname et Artenréel) composent l’étude de cas. Le travail monographique considère la nature et le périmètre des activités productives, le système socioproductif, les orientations stratégiques, les moyens de production et les modes de gouvernance. Le dialogue entre l’architecture conceptuelle de la théorie de la régulation et l’empirisme de l’économie sociale permet de revisiter les modèles productifs, pour qualifier les compromis de gouvernement coopératif des CAE autour de dynamiques productives multifonctionnelles. Il en résulte une grille de lecture et d’indicateurs socioéconomiques pour étudier les CAE. Entre 2013 et 2018, l’analyse des logiques productives multifonctionnelles dans les trois CAE montre l’ambivalence et l’instabilité structurante des compromis de gouvernement coopératif. À Oxalis, la prépondérance du développement économique est encadrée par l’idée d’autonomie et de solidarité professionnelle par la coopération de production. À Coopaname, le compromis marque la prééminence du politique, des liens sociaux et de la solidarité avant le développement économique. À Artenréel, le compromis historique se poursuit avec la primauté de l’accompagnement social, et de la diffusion de la coopération dans le milieu artistique, dans une logique d’intérêt général et d’utilité sociale, avec une forte dimension instituée. Notre analyse des modèles socioproductifs met en exergue plusieurs facteurs d’unité et de diversité du mouvement des CAE. La pérennité de leurs dynamiques socioproductives est garantie par leur Projet coopératif privilégiant l’insertion par l’activité économique entrepreneuriale, l’autonomie dans le travail et la coopération de production. Leur difficulté concerne leurs ressources marchandes insuffisantes pour pérenniser leurs services mutualisés et des revenus acceptables pour leurs membres. Paradoxalement, c’est l’instabilité structurelle de leur compromis qui est un facteur clé de la solidité de modèles socioproductifs multifonctionnels. On relève des dysfonctionnements organisationnels et des tensions relationnelles récurrents. Ce qui les différencie, ce sont leurs stratégies de compétitivité selon la priorité donnée au politique, au social ou à l’économique. Leurs formes organisationnelles se distinguent aussi selon les moyens de mutualisation et de coopération, et les modalités de gouvernance. Cette thèse apporte des résultats scientifiques enrichissant la théorie de la régulation et l’économie sociale, et des résultats opérationnels pour les CAE. Le rapport coopératif d’activité envisage les tensions inhérentes aux relations sociales de production. La multifonctionnalité du travail autonome explicite les temporalités et les finalités contradictoires des activités.
Source: http://www.theses.fr/2020UNIP7183
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