Résumé
L’horizon de cette thèse sur la poésie moderne est de sonder le mouvement dansant du texte et de dégager des critères sémiotiques pour rendre compte des implications théoriques d’une métaphore plus surprenante à première vue que celle de « musicalité littéraire ». Dans la mesure où les trois auteurs ne peuvent pas être appréhendés sur le seul plan littéraire puisqu’ils ont collaboré avec des chorégraphes, voire exercé l’activité de danseur-chorégraphe, la perspective historique est mobilisée, afin de saisir la similitude du rapport qu’ils entretiennent avec le moderne en danse. C’est finalement son élection comme un art-source pour l’écriture, qui unit les trois écrivains. Absorbant les leçons du moderne chorégraphique, l’écriture poétique enrichit les structures du langage d’une qualité corporelle et gestuelle. Pareillement, le mode de composition poétique se rapproche de la danse, agençant les constituants de la phrase et du vers, comme s’ils étaient des kinèmes. Par-delà la parcellisation des courants chorégraphiques au XXe siècle, le contemporain est appréhendé dans la thèse comme une continuation du moderne. Présente en poésie, la danse officie une totalisation des arts et du réel, et affiche le programme de la poétique à laquelle aspire l’écrivain. La deuxième partie de la thèse s’intéresse donc aux modes de présence de la danse à travers le texte poétique, envisagé comme objet polysémiotique. Les acquis de la danse moderne sont remodelés littérairement et transférés au poème. Le poète, ayant assisté aux pièces de danse, cherche à recréer ce qu’il a vu, incluant sa perception transformatrice de spectateur. Au sein de l’examen du transfert intersémiotique vers le texte, nous prenons pour outils les notions de « figure » et d’ « ekphrasis ». Déjà, R. Barthes, notait dans les Fragments d’un discours amoureux le caractère chorégraphique de la « figure » textuelle. La danse ne s’apparente véritablement à une figure que lorsque le motif devient l’emblème d’une poétique. Nous restreignons l’« ekphrasis » à une danse théâtrale, réellement vue sur scène par l’auteur, et qui structure de manière cohérente un poème. L’ekphrasis implique une description au second ou au premier degré, selon que la danse est médiatisée ou non par la peinture. L’analyse permet, dès lors, d’établir une évolution d’une logique de la représentation, encore marquée, avec V. Parnakh, par le mimétisme des sons et des mouvements, à celle de la présentation, avec W. C. Williams et D. Fourcade. La présence textuelle de la danse est toujours étayée par une mention explicite (vocabulaire chorégraphique, du mouvement ou du corps, référence à tel danseur, tel chorégraphe, telle pièce…). Le plan de l’expression ou du contenu sémiotiques, seuls, ne suffisent pas à établir avec précision la dimension dansante. C’est donc le mode de lecture adopté, et le type de perceptions qui en découle, qu’il convient en définitive d’envisager pour fonder le caractère dansant de la poésie moderne. Le texte fonctionne comme une matrice pour l’interprétation-incarnation du lecteur, qui peut éventuellement déboucher sur son transfert en danse. Aussi établissons-nous une méthode originale, en vue de légitimer une approche de la textualité, déplacée du côté de l’acte de lecture. Ce dernier est envisagé comme une performance unique, celle d’un « autre lecteur », dont rendent compte trois situations d’auto-explicitation. Il existe un mode de lecture chorégraphique des textes, attentif à la dimension cinétique et kinesthésique des mots et des phrases, que nous examinons, après avoir constaté la difficulté à séparer l’étude du mouvement dansant et du mouvement dansé, en nous contentant d’une approche sémiotique. En revanche, si l’on adopte le point de vue du lecteur, les associations sont moins directement tributaires de la sémantique. […]
Source: http://www.theses.fr/2019CLFAL016
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