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Lorenzo Soccavo –  Prospective et Futurologie

(Pour l’illustration  )

Le livre est porteur de nombreuses métaphores et en ce sens il est bien un moyen de transport. Les livres portent, ils trans-portent du méta, à la fois de “l’au-delà de” (comme la métaphysique) et du profond (comme les métalangages ou les métadonnées).

S’interroger sur la symbolique du livre c’est donc nécessairement dépasser ses formes physiques extérieures pour nous transporter vers ce qu’il évoquerait et exprimerait au-delà des idées reçues de telle ou telle époque, la nôtre y compris.

Je parlerais donc ici du livre en tant qu’absolu, c’est-à-dire du livre porteur d’une singularité immuable et d’une raison d’être atemporelle, et non pas, par exemple, de livre imprimé ou de livre numérique.

Cependant, je suis prospectiviste et futurologue, et je ne peux m’interroger sur la symbolique du livre que dans la perspective de ce qui semble se dessiner en ce début de 3e millénaire au regard de notre chronologie commune, et où il apparaît que les œuvres de fiction tendraient de plus en plus à devenir des mondes habitables, tandis que le monde que nous qualifions de “réel” nous apparaîtrait lui de plus en plus fictionnalisé.

Ce simple constat devrait me conduire à travailler sur la double métaphore du livre comme monde, et, du monde comme livre.

Mais je veux aller plus loin, et inscrire mes pas dans le sillon d’une autre double métaphore qui me travaille de plus en plus et que je cherche à exprimer et à expliciter dans le “book in progress” : Le voyage intérieur du lecteur.

Cette double métaphore, qui interroge elle aussi pleinement la symbolique du livre, est la suivante : la lecture qui sort du bois, et, le lecteur qui entre dans la forêt.

C’est, nous le voyons d’emblée, un double mouvement, un peu comme une porte à deux battants dont chacun pour délivrer le passage devrait s’ouvrir dans le sens opposé à l’autre. Un étrange chassé-croisé.

La démarche que je propose pour documenter ce qui semble bien se structurer comme une méthode pour entrer dans les livres, pour “passer de l’autre côté du miroir” revient à considérer le livre, à la fois comme un espace intérieur, et, comme un intermonde.

Contrairement au hasard, la sérendipité et la synchronicité existent je pense, et je crois avoir trouvé une illustration à cette symbolique particulière du livre dans une peinture du 15e siècle.

En 1475, vers la fin de sa vie, un peintre sicilien du nom d’Antonello de Messine représenta sur une petite peinture à l’huile (45×34,5 cm) une des plus célèbres fictionautes de l’histoire occidentale : Marie. (Nous définirons bientôt ce qu’est un ou une fictionaute.)

Cette Vierge de l’Annonciation peinte par Antonello a ceci d’extraordinaire qu’elle sublime sa propre histoire écrite dans le texte d’un évangile (celui de Luc) pour se révéler ici sous la figure d’une jeune femme prenant conscience de la singularité de son histoire à la lecture même de l’expérience qu’elle est en train de vivre. Dans cette peinture d’apparence modeste, le peintre traduit toute l’alchimie intime, intérieure de la lecture, il en montre toute la puissance et révèle par là en quoi une lecture immersive est avant tout une expérience profondément humaine, dont le livre est le laboratoire et qui peut déboucher sur une véritable prise de conscience à même de bouleverser le cours de la vie ordinaire d’une lectrice ou d’un lecteur.

Si nous admettons l’existence de Marie comme personnage historique ou imaginaire, et en particulier ici comme lectrice, nous sommes alors là en présence d’un des cas probablement les plus intéressants de métalepse dans l’histoire de l’humanité.

Qu’est-ce qu’une métalepse ?

Sans vergogne je m’affranchirais de la linguistique et en l’occurrence des travaux de Gérard Genette pour définir simplement la métalepse narrative comme : une effraction de la frontière entre l’histoire et la réalité.

Les métalepses fictives sont nombreuses, outre le cas emblématique de don Quichotte, la plus connue en littérature est une courte nouvelle de l’auteur argentin Julio Cortázar : Continuité des parcs. Au cinéma, en 1985 le célèbre film de Woody Allen : La rose pourpre du Caire. Dans la réalité les faux-semblants sont nombreux qui témoignent de notre attraction à suivre la jeune Alice de l’autre côté du miroir (théâtre antique et initiations traditionnelles, tableaux vivants, cosplays, jeux en réalité alternée, jeux d’évasion grandeur nature et reconstiteurs de batailles napoléoniennes, etc.).

Cette représentation de l’Annonciation par Antonello de Messine va plus loin : elle nous montrerait le passage de la parole performative : quand dire c’est faire, à la lecture performative : quand lire c’est vivre. Nous pourrions passer ainsi des actes de langage à des actes de lecture, où notre lecture nous transporterait dans d’autres environnements.

C’est là le challenge du book in progress Le voyage intérieur du lecteur et je le résumerai ainsi : constatant une certaine bilocation du lecteur lisant, ce dernier ressentant en partie tout au moins les émotions des personnages fictifs du monde qu’il cogénère par sa propre lecture, je lui propose de se dédoubler consciemment entre un moi-lecteur, et, un moi-liseur. (Je prends là aussi des libertés par rapport à la notion de liseur en narratologie classique.)

Le liseur est davantage que le lecteur lisant, je le conçois comme une projection du lecteur, comme son émissaire dans le monde de la fiction. C’est la raison pour laquelle je parle de fictionaute, de voyageur dans l’imaginaire.

Nous percevons généralement l’imaginaire comme potentiellement localisable dans un espace que nous qualifions d’intérieur alors qu’aucun instrument d’observation ne révèle l’existence d’un tel espace en nous.

Mais c’est quoi un espace ? Un espace est la possibilité d’une étendue potentiellement explorable et habitable.

Un espace intérieur répondant à cette définition n’est possible que si nous le concevons mentalement comme étant lui-même le reflet d’une imagination, c’est-à-dire comme étant déjà une production psychique émanant d’un invisible centre mystérieux en nous qui ferait miroir réfléchissant et serait peut-être ce que nous appelons couramment : notre conscience.

Nous pouvons avoir la conscience d’exister dans un océan de phénomènes dont les mots ne sont pas les moindres. C’est probablement la raison pour laquelle nous entrons si facilement en résonance avec les fictions romanesques qui ne seraient peut-être que les reflets de cette effervescence des phénomènes, la part de ce que nous en traduisons en réponse à notre éternel émoi face à l’agitation de la vie. En même temps, il n’est pas impossible que ce que nous pensons comme étant la vie, “notre” vie, ne soit, en partie au moins, que le reflet des fictions que nous écoutons ou lisons depuis notre plus jeune âge. Les deux propositions (La lecture qui sort du bois, et, le lecteur qui entre dans la forêt) ne sont aucunement contradictoires : si les phénomènes jouent comme des face-à-face de miroirs, alors la pulsation, la respiration, l’animation ne viendraient que de cela : le va et vient des reflets.

Les fictions sont des intermondes dont les lecteurs seraient les frontaliers. Si le monde du lecteur est le monde physique, le monde du liseur est lui un monde imaginaire, différent à chaque lecture. C’est en ce sens que je le qualifie d’intermonde, c’est-à-dire d’espace intermédiaire entre deux mondes. Ce n’est pas véritablement un monde, mais un passage. Si notre monde est le monde réel (le contexte de notre existence) et les livres (les textes que nous lisons) des intermondes, alors il y aurait bien derrière chaque lecture la possibilité d’accès à un autre monde dans le hors-champ de la fiction.

C’est cette possibilité qui fonde pour moi la symbolique du livre.

Comme le lecteur est dans le monde physique et le liseur dans l’intermonde, ce serait donc ce dernier (le liseur) qui seul pourrait nous en transmettre les données.

En 2016, en pleine transformation systémique de l’espèce humaine, cette symbolique du livre pourrait-elle être porteuse de la clef qui ouvrirait la porte imaginaire marquant la frontière entre le monde des fictions et celui que notre équipement neurobiologique nous fait percevoir comme réel ?

Car cette porte est particulière je crois. Dans le monde dans lequel nous vivons une porte a toujours deux côtés. Nous pourrions croire qu’il va nous falloir apprendre à ne plus nous situer d’un côté ou de l’autre de cette porte, ou bien alternativement d’un côté puis de l’autre, mais, ce qui serait déjà extraordinaire, à nous tenir des deux côtés à la fois. Cependant je crois qu’il nous faut penser encore plus loin et que, pour ce qui est de cette porte-là, celle marquant la frontière entre le monde des fictions et celui que nous percevons comme réel : elle n’aurait qu’un seul côté. Nous allons je crois devoir apprendre à nous tenir en permanence sur le seuil d’une porte qui n’a qu’un seul côté.

Le web pervasif (réseau diffus d’objets interconnectés) et l’internet expérientiel (Internet d’expériences et non plus seulement d’informations et de communication) ne vont pas nous “augmenter”, ils vont nous contrôler, mais, ce faisant justement, ils vont nous mettre en situation de devoir nous dépasser et précisément de dépasser la frontière du réel pour découvrir d’autres territoires, éventuellement habitables à temps partiel, ou d’où nous pourrions rapporter des solutions, de nouvelles techniques de résistance, voire des habitants. En parallèle la bio-informatique, nouveau champ de recherche multidisciplinaire qui fédère biologistes, informaticiens et neurophysiciens, pourra peut-être un jour nous équiper en implants cérébraux augmentant les capacités de notre imagerie mentale.

En conclusion, ce sera peut-être ainsi qu’au cours de ce millénaire certains membres de l’espèce humaine pourront, pour dépasser les lignes d’horizons des livres, se constituer vraiment en fictionautes.

Lorenzo Soccavo, Paris, mai 2016.


Source: https://ecultures.hypotheses.org/240

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