Laura Toledano, DG Zalando France : « Nous ne pouvons pas être le numéro un sans nous remettre constamment en question »
Dans un contexte où l’inflation bride le consommateur, tandis que le retail physique de l’habillement est à la peine, Zalando prévoit une croissance entre 1 % et 7 % de son volume d’affaires en 2023. Rencontre avec Laura Toledano, directrice générale France de la plateforme de vente, pour qui la vision long terme et l’investissement dans l’innovation sont deux raisons majeures de ce succès.
Compte tenu de la crise traversée par le prêt-à-porter en France, Zalando tire plutôt bien son épingle du jeu. Sauriez-vous expliquer pourquoi ?
Zalando n’est pas composé des marques qui ont des difficultés actuellement en France, mais d’un panel de marques européennes et internationales qui nous permettent d’équilibrer le risque. De plus, la variété de l’offre fait que lorsque quelques marques vont mal, d’autres vont bien, ce qui équilibre le tout et nous permet d’être assez résilients face à cette crise.
De plus, nous montrons une réactivité liée à la structure même de l’e-commerce, qui nous permet une flexibilité que n’a pas le retail physique. Nous pouvons réagir plus rapidement à un événement inattendu. Par exemple, quand un commerce physique a déjà sorti sa collection d’hiver mais que les températures atteignent encore les 30 degrés, comme ce fut le cas au début du mois de septembre, il ne peut pas simplement changer ses rayons du jour au lendemain. Sur le web, nous pouvons, d’heure en heure, décider de ce que nous mettons en avant selon le contexte actuel.
Enfin, je pense que nous pouvons trouver une raison dans la stratégie de Zalando. Nous sommes construits autour d’une stratégie de long terme, avec toujours cette question de « comment faire pour être toujours numéro un dans 10 ans ? ». Cette approche de construction long terme fait que nous avons des bases solides et que nous résistons.
Nombre de sites marchands témoignent d’une baisse de fréquentation mais d’une augmentation du panier moyen. Est-ce le cas chez Zalando ?
C’est vrai que c’est un peu la tendance, les clients convertissent avec des paniers moyens plus élevés et on remarque une tension au niveau du visiteur. C’est lié à la fois au marché et à notre stratégie privilégier la qualité à la quantité, qui va justement permettre une croissance profitable. Cela veut dire de meilleurs paniers, une fréquence d’achat plus élevée, moins de retours, etc.
Dans un contexte inflationniste tendu où le client cherche les prix les plus bas, la solution court terme serait de proposer des promotions tout le temps. Nous pourrions le faire, mais ça ne créerait pas les bons mécanismes d’achat sur le long terme. Le client viendrait de manière opportuniste chez Zalando, puis le lendemain chez un concurrent et on n’arriverait pas à capter cette clientèle loyale qui est fidèle à Zalando. Ce n’est pas ce que nous cherchons. Nous savons qu’il est risqué de rester sur une politique promotionnelle constante dans un contexte économique changeant. Mais nous savons aussi que faire exactement comme avant ne fonctionnera pas. C’est pour cela que nous accélérons sur l’innovation, afin de se démarquer sur autre chose que la concurrence des prix.
En cette période où l’inflation prédomine, vous choisissez la « premiumisation », en privilégiant la qualité à la quantité. Est-ce une stratégie de changement de clientèle ?
Attention à ne pas mal interpréter l’idée de premiumisation. Nous voulons apporter de la qualité à chaque moment de l’expérience d’achat, donc avoir un parti pris sur la sélection et ne pas proposer des produits aléatoires dans tous les sens. Ça ne veut pas dire que nous arrêtons de travailler avec des marques plus accessibles et abordables. Pour nous, travailler la qualité signifie sélectionner une marque qui répond à un vrai besoin, de qualité et au bon prix. Une marque abordable peut remplir tous ces critères.
Tout cela passe aussi par la premiumisation de l’expérience client. Jusqu’à présent, notre site pouvait être un peu trop transactionnel. Nous travaillons donc sur l’inspiration en apportant plus de contenus, plus de technologies et des recommandations plus pointues.
En somme, premiumiser, c’est proposer de l’excellence à tout point de vue. Mais ça ne veut pas dire, attention, que nous voulons devenir un acteur du luxe. Ce n’est pas notre ambition.
Parmi les innovations que vous mentionnez, vous travaillez sur le développement d’outils d’IA générative. Selon vous qu’est-ce que l’intelligence artificielle va changer pour l’expérience client ?
L’intelligence artificielle est un outil très précis qui permet de placer le client au coeur de toutes les décisions. Les modèles d’IA se nourrissent de ce que nos clients ont vu et des produits avec lesquels ils ont interagi. Cela nous permet de dessiner leurs besoins futurs. En d’autres termes, cet outil nous fait aller beaucoup plus loin dans la personnalisation de l’expérience client en identifiant comment adresser au mieux les différentes audiences.
Zalando est un univers où plus de mille marques sont disponibles et ce, avec diverses gammes de prix. Nous devons donc être capables de proposer aux clients ce qu’ils recherchent à un instant T, tout en lui faisant économiser du temps de navigation. C’est ce que l’IA nous permet de faire. Jusqu’à présent, nous proposions de la personnalisation, mais ces outils nous offrent une finesse des prédictions indispensable.
Cependant, l’IA seule ne sert à rien. Nous avons toujours besoin de l’expertise mode des marques et de leurs recommandations, puisqu’elles connaissent leurs produits.
Pourquoi avoir décidé d’investir aussi rapidement dans l’IA générative ?
La mission de Zalando est d’être l’acteur incontournable du secteur de la mode. L’innovation est donc au coeur de nos préoccupations, car nous ne pouvons pas être le numéro un sans nous remettre constamment en question.
Pour apporter une réelle plus-value, nous devons être les premiers à proposer ces outils innovants à nos clients. Nous investissons donc rapidement dans les projets àlong terme que nous identifions comme des opportunités indéniables.
Cependant, la rapidité d’investissement n’empêche pas la réflexion. Ainsi, nous testons d’abord les projets dans certains pays, puis nous les améliorons. Après une deuxième, troisième itération, nous étendons cela à tous nos marchés.
Comment rassurer les consommateurs quant à l’arrivée de l’IA générative dans leur quotidien et l’utilisation des données liée à cette technologie ?
Je pense qu’il faut arrêter de parler d’intelligence artificielle au client. Il faut juste lui montrer son application directe. Si nous lui montrons les bénéfices d’un chatbot « assistant mode », il n’est pas nécessaire d’expliquer que cet outil est alimenté par de l’IA générative. Arrêtons d’utiliser des grands mots qui peuvent effrayer, montrons simplement l’intérêt des innovations dans son quotidien.
La meilleure façon de rassurer le client, c’est d’être concret, en proposant des projets avec un impact direct sur sa consommation. C’est ce que nous essayons de faire.
Nombre d’études montrent que depuis la fin de la crise sanitaire, les consommateurs français retournent dans les magasins. Envisagez-vous d’ouvrir des points de ventes physiques dans le futur (pop-up store, corner, concept store…) ?
Aujourd’hui, ce n’est pas aligné avec notre business model. En revanche, nous y réfléchissons. Quoi qu’il arrive, nous n’essaierons pas d’avoir des boutiques au modèle classique ou vendre une partie de notre offre, mais plutôt des boutiques éphémères, sur des collections spécifiques par exemple. En somme, si nous nous lancions dans le pari d’ouvrir un point de vente physique, ce serait de manière innovante et réfléchie.
À l’heure actuelle ce n’est pas notre priorité, mais comment réintégrer le commerce physique et créer du lien font partie des questions que nous nous posons. Je n’ai pas de projet concret à partager actuellement, mais ça pourrait venir assez rapidement, notamment dans le domaine du commerce éphémère, par exemple.
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